Le Sauveur de la République

Pendant plusieurs siècles, l'Empire romain a assuré la paix et l'unité du monde méditerranéen et façonné dans ses provinces la majeure partie de l'Europe. Les Romains n'avaient certes pas que des qualités et leur domination résulte partout de l'emploi judicieux de la force. Mais, une fois établie, cette domination s'est maintenue grâce à la diffusion d'une civilisation en partie héritée des Grecs, et par la participation des élites indigènes au gouvernement et à l'administration.
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Lucius Aurelius
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Le Sauveur de la République

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Le Sauveur de la République




Avé ! Lucius Aurelius, Lucii filius, Quirina, Cotta Aquila ! En ce jour dedié à Mars, je prête serment ici-même et je jure de défendre la res pulica de Rome au sein de la VIIIème légion. Gloire à Rome, gloire à la res publica et gloire au Sénat.
« Serment de Lucius Aurelius Cotta Aquila à la VIIIème légion de la république ». Idibus Martiis, Anno DCXCIX ab urbe condita. »



- Gergovia, Nonis Septembribus, Anno DCCI ab urbe condita -
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De ce qu’il pouvait en voir, la bataille semblait tourner à la déroute. La charge contre les portes, les femmes gauloises les suppliant, la cupidité du centurion Lucius Fabius debout sur la palissade, l’air victorieux… Tout ça semblait bien lointain… D’ailleurs le centurion était rapidement passé de vie à trépas, victime de sa soif d’or et de son orgueil. Soudainement pris d’assaut par les gaulois, il fut taillé en pièce avant d’être jeté par-dessus les remparts. Dès lors, rien ne s’était passé comme prévu.

Les gaulois étaient partout. Son flanc, le flanc droit, composé de quatre manipules, cédait sous les assauts. Les barbares se déversaient par centaines depuis les hauteurs. Leur camp, situé sous l’oppidum de Gergovie, vomissait des flots ininterrompus de guerriers celtes. Plus la situation devenait intenable, plus les carnyx se faisaient entendre. Leurs sons venaient de tous les côtés. Si bien que l’on aurait pu les prendre pour des monstres approchant pour la curée. Et d’ailleurs, d’était en parti le cas…

Détournant la tête du guerrier agonisant qu’il venait d’embrocher, Lucius, couvert de sang, se retourna pour observer le flanc gauche de la légion. Les carnyx avaient bien prévenus l’heure du repas. Sortant des arbres, des centaines de cavaliers celtes fondirent sur le flanc gauche. Se dirigeant vers les portes de l’oppidum, les manipules n’avaient en aucun cas prévus cette attaque de flanc. Pivotant péniblement, les hommes n’étaient pas en formation quand les cavaliers arrivèrent au corps à corps. La ligne romaine se déforma sous le choc. Plusieurs hommes tombèrent dès les premières secondes, écrasés par les chevaux ou mortellement blessés par les lames celtes. Les légions n’allaient plus tenir longtemps. Surtout avec le flanc droit lui aussi en fâcheuse posture.

Apercevant une ombre furtive dans son champ de vision, Lucius leva instinctivement son bouclier au-dessus de sa tête. La hache du gaulois frappa violemment la surface métallisée et s’enfonça de quelques centimètres. Vacillant sous l’impact, Lucius mit un genou à terre. Quelques instants d’inattention et il avait failli le payer de sa vie. Profitant de la difficulté du gaulois à dégager sa lame, Lucius frappa d’un coup sec le tibia de son adversaire avec son pied. Grognant de douleur, mais restant debout, le celte se mit soudainement à hurler, puis à gargouiller lorsqu’une lance romaine traversa son poitrail. Submergé par la douleur, il tomba à genou dans la boue. S’assurant de la mort de son adversaire, Lucius se releva doucement, son gladius à la main. Devant lui, le décurion, sa lance ensanglantée à la main.

- Aquila ! Gardes la formation, c’est déjà assez la merde comme ça.

- Mais où sont les éduens, ou est la dixième, ou est la treizième ? Que fait Caesar ?

Afin de couvrir le décurion alors qu’ils échangeaient, une ligne d’Hastati se dressa entre le sous-officier et les barbares. Le décurion mis un certain temps à répondre, ayant visiblement les même interrogations que Lucius.

- Aucune idée, milites. Caesar et Sextius étaient censés venir nous épauler afin de percer les défenses gauloises et rentrer dans Gergovie.

- Attention, hurla un des Hastati entre deux parades, en prise avec un énorme guerrier aux longs cheveux roux.
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Visualisant la menace face à lui, Lucius put se prévenir de la volée de flèches qui arrivait vers eux. Se retournant en un éclair, le décurion fut malheureusement trop lent. Une flèche lui traversa le visage et quatre autres se plantèrent dans sa segmentata. Il s’effondra raide mort dans la boue, rejoignant le gaulois qu’il venait de tuer. La pluie de flèches se fit violemment sentir. La plupart ricochèrent sur l’umbo du bouclier, mais certaines pénètrent, traversant le métal et le bois du scutum. Par chance, aucune ne trouva son bras. Lucius avait survécu à l’averse sans aucune blessure ou égratignure.

L’averse passée, il baissa son bouclier et regarda les alentours l’air hagard. Le combat faisait rage, le bruit était assourdissant. Des dizaines de légionnaires gisaient ou geignaient au sol. Leurs cris et leurs gémissements étaient infernaux. Des flèches s’étaient enfoncées partout ; dans les poitrails, dans les épaules, dans les gorges. Errant entre les corps et les duels, le jeune homme failli trébucher sur le cadavre d’un Principes. Sa segmentata avait été totalement éventré et ses viscères s’écoulaient lentement en dehors de son abdomen. Ses yeux vitreux étaient braqués vers le ciel, vers les charogards qui survolaient la bataille. Dans l’esprit de Lucius tout semblait se passer au ralenti et tous les sons étaient atténués. Pourtant le combat continuait vigoureusement, rythmé par les hurlements et le tintement des lames.

Le combat était de plus en plus désespéré. La légion se faisait tailler en pièce. Le flanc gauche s’était complétement brisé suite à la charge de la cavalerie gauloise. Le flanc droit, lui, était au bord de la rupture. A chaque seconde un homme mourrait ou perdait un pas de terrain. N’avançant plus et étant soumis à des menaces de tous les côtés, le centre commençait lui aussi à se désagréger. La débâcle débutait. Plus personne n’attendait la dixième et la treizième légion. Les éduens non plus d’ailleurs. Quelque chose avait dû foirer dans le plan. Aucun Cornicen de Caesar n’était audible. Seuls les sons entêtants des carnyx gaulois emplissaient la vallée. A chaque instant la débâcle romaine prenait de l’importance. Les quelques fuyards étaient devenus des dizaines et des dizaines. La panique s’était généralisée. Lucius ne fit pax exception et se mit à courir pour sa vie. Porté par la peur, Lucius en oublia le poids de son armure segmentata. En pleine course, il lança au sol son casque qui lui tombait devant les yeux. Ce n’était pas le moment d’être ralenti par quoique ce soit. Par précaution il garda toutefois son bouclier. Dans sa fuite il pouvait entendre les Carnyx et les cris victorieux des gaulois qui savouraient cette victoire de Vercingétorix sur Caius Iulius Caesar.

En pleine course, les légionnaires ne s’arrêtaient pour rien au monde. Même pas pour un camarade blessée. A ce sujet, plusieurs furent stoppés net dans leur course, transpercés par des flèches adverses. D’autres chutèrent, déséquilibrés ou lâchés par leurs chevilles ne supportant guère une course aussi rapide dans un endroit aussi accidenté avec un équipement aussi lourd.

Après un appel des carnyx, des bruits de sabots se firent entendre derrière eux. Dans un bruit de tonnerre, les gaulois pourchassaient les soldats de la VIIIème. Risquant un coup d’œil en arrière Lucius vit le centurion Marcus Pétreius lutter encore avec quelques hommes devant les portes de l’oppidum. Bien loin d’espérer prendre les portes, l’officier faisait sacrifice de sa vie pour que d’autres puissent l’avoir sauve. Un héros comme Rome en comptait beaucoup… Son sacrifice ne devait pas être vain, il fallait rejoindre au plus vite la plaine et les autres légions. Du moins si elles étaient encore là…

Lucius courait au milieu de légionnaires qu’il ne connaissait pas, bien qu’appartenant à la même légion. Il n’y avait plus de décuries, ni de centuries, ni de manipules ; ils n’étaient plus que de simples luttant pour leurs vies. Plusieurs fois déséquilibré, il ne chuta pas. Délesté de son casque et de sa lance qu’il avait perdue en début de bataille, Lucius s’en sortait plutôt bien.

Ce qu’il vit en débouchant dans la plaine le stupéfia. La dixième légion de Caesar et la treizième de Sextius étaient en formation et semblaient les attendre. Pourquoi n’étaient-elles pas en mouvement ? Pourquoi Caesar n’avait-il pas sonné la retraite plutôt, songea le jeune légionnaire juste au moment où les cornicen de la Xème légion se firent entendre.

La mise en branle des deux légions sur une vingtaine de mètres, Caesar à leur tête, suffit à stopper les barbares dans leur poursuite. Prenant conscience du désavantage qu’ils auraient s’ils se battaient en plaine, les hommes du chef arverne finirent par tourner la bride de leurs chevaux en direction de l’oppidum. Les cavaliers aux cheveux hirsutes remontèrent à Gergovie accompagnés par les sons victorieux de leurs instruments à cuivres. Vercingétorix avait remporté la bataille, il n’avait nul besoin de forcer le destin.

Tous les soldats de la huitième légion autour de lui avaient l’air ahuri parce qu’ils venaient de vivre. Certains jurèrent et crachèrent leur dégoût, alors que d’autres regardaient les légionnaires de la Legio X Equestris, l’air absent. Malgré les apparences et le goût amer dans la bouche, l’anéantissement de la huitième légion avait été empêché in extremis.

Au son des ordres de Caesar joués par les cornicen et les tubicen, les trois légions se replièrent dans un ordre plus ou moins désordonné au camp secondaire. Arrivé au camp, Lucius s’écroula, un genou au sol. Une fois la peur et l’adrénaline envolée, sa fatigue revint en lui au triple galop. Après avoir combattu une heure durant contre les barbares et couru sur des centaines de mètres à pleine vitesse, son corps était aussi vide que son esprit. Tant de sueur, tant de sang, tant de souffrances, tant de morts… Pour ça ? Par chance l’aigle de la légion n’était pas tombé aux mains de gaulois. Mais à quel prix ? La légion avait payé le prix fort. Quel en serait le coût exact ? C’était la véritable question.


- Grand camp de Caesar. Proximité de Gergovia. Ante diem septimum idus septembres, Anno DCCI ab urbe condita –


Après quelques jours de repos dans le camp principal de César, Lucius s’était remis d’aplomb. Ces blessures superficielles avaient été soignées et sa segmentata avait été réparée. Un nouveau casque et une nouvelle lance lui avait été fournie. Mais plus important encore était la guérison de son moral et de celui de sa légion. Caesar, a, dès le lendemain de la bataille, pris soin de rétablir la grandeur de la huitième légion. Les équipements manquants ont été renouvelés. Les divisions de la légion ont été réorganisées afin de garantir l’esprit de corps et l’efficacité militaire. Bien que sévère sur les agissements de certains officiers, les explications de Caesar sur la déroute ont été bien accueillis par les hommes. De ce que pouvait en voir Lucius, tous semblaient avoir été convaincus par le discours de leur général. La situation n’étant pourtant pas à l’avantage de Rome. La VIIIème légion était sortie meurtrie de cette bataille. La topographie du terrain avait empêché les hommes d’entendre les tubas de la Xème annonçant la retraite. Dès lors, la VIIIème s’était retrouvée piéger. Restant immobile face aux assauts gaulois venant de tous les côtés, la légion avait perdu de nombreux héros. Caesar était resté assez évasif sur le rôle des éduens pendant la bataille, mais il en résultait que ces derniers avaient trahis et ralliés Vercingétorix au moment le plus critique de la bataille. Les légionnaires de la Legio Equestris avaient eu quelques accrochages avec les cavaliers éduens pendant les hostilités. Les pertes des deux camps avaient toutefois été peu nombreuses.

Forte de six légions, la position de Caesar en territoire hostile semblait précaire. La révolte de Vercingétorix avait vraisemblablement pris racine. Combien de tribus gauloises allaient encore rallier l’Arverne dans son combat contre Rome ?

Quelques soient les pensées et les réflexions sur sa situation actuelle, rien ne pouvait écorcher l’image glorieuse qu’avait Lucius de son général, Caius Iulius Caesar. L’œuvre de ce dernier allait bien au-delà de cette cruelle défaite. D’un point de vue militaire, il était l’homme qui avait conquis les deux tiers de la Gaule. Mais plus important encore il était celui dont la Res Publica avait besoin. Caesar pouvait soigner la république de ses troubles et de cette paralysie qui l’affectait. Il pouvait devenir le sauveur de la république. Lucius en était convaincu. Et c’est pour cela qu’il devait aider son général et sa légion du mieux qu’il pouvait. Il n’avait que trop souffert des troubles politiques et économiques dans son enfance. Plongé dans ses pensées, assis contre la palissade du camp, Lucius n’entendit pas son optiones l’appeler.

- Milites ? Milites ?

- Milites ? Rassemblement de ton manipule, au centre du camp. Rejoint ta décurie, hurla l’optiones.

- Compris, optiones. Excusez mon inattention.

L’officier le dévisagea sans répondre, puis pris congé l’air excédé.

Rejoignant sa décurie, Lucius retrouva ses camarades qui avaient survécu au combat. Certains qu’il n’avait pas vus après la bataille, manquaient toujours à l’appel. Rappelés par Pluton aux Champs Elyséens, il ne les reverrait plus avant que lui-même le soit. Avant cela, il se devait de rester bon et fidèle à Rome afin d’être jugé favorablement par l’époux de Proserpine.

Autour d’eux, les autres manipules et les autres légions semblaient s’agiter. Le moment de lever le camp approchait. La défaite de Gergovie était derrière eux. Epuisés et manquant d’hommes, les barbares de Vercingétorix n’avaient pas poussés leur avantage. Des escarmouches avaient eu lieu après la bataille, mais l’Arverne n’avait pas réussi à prendre l’avantage sur le romain. Les légions pouvaient alors se dégager de ce guêpier. Une bataille avait été perdue, mais la guerre était loin de l’être. La révolte de Vercingétorix ne résisterait pas aux légions romaines et à leur glorieux général.

- Legio expedita, hurla le centurion du 4ème manipule.

Dans un bruissement sonore de métal et de cuir, tous les légionnaires du manipule se mirent au garde à vous. Tel le phénix, la Legio VIII s’était régénérée et était prête à se battre à nouveau contre les ennemis de Rome.
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