Les Engrenages du Ciel

Le steampunk est un courant dont les intrigues se déroulent dans un XIXe siècle dominé par la première révolution industrielle du charbon et de la vapeur. Il s'agit d'une uchronie faisant référence à l'utilisation massive des machines à vapeur au début de la révolution industrielle puis à l'époque victorienne.
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Medenor
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Les Engrenages du Ciel

Message par Medenor »

Octave Damus dormait, impassible dans son lit, comme chaque nuit. Le ciel duveteux couvrait les rayons lunaires qui ne parvenaient pas à éclairer la chambre du jeune homme. Ses lunettes étaient posées sur la table de chevet, à côté d’une savante horloge mécanique, un cliquetis régulier en provenant. Les aiguilles ouvragées métalliques étaient immobiles, seule la trotteuse, moins élégante, avançait derrière le cadre de verre. La chambre était pleine d’objets en tout genre : pistons, clés à molette étaient choses communes dans ce repaire de mécanicien. Car c’était ce qu’était Octave. Depuis sa plus tendre enfance, la mécanique le passionnait. Ses parents, pauvres travailleurs du textile, espéraient un métier plus correct, plus prestigieux pour leur fils unique. Mais l’appel du rouage et de l’outil avait été plus fort lorsqu’à sa majorité, il dût faire un choix de carrière…

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L’horloge affichait 03:30 lorsqu’Octave se retourna dans son lit…

Le soleil était levé depuis une bonne heure lorsque le jeune homme enfila son manteau et son béret, ses lunettes de travail ceinturant son couvre-chef, telles deux yeux supplémentaires. Fermant la porte derrière lui, il s’engagea sur le chemin menant vers la ville, son sac contenant ses outils de travail en bandoulière, dans le matin naissant de Mai … La route vers la grande ville n’était pas à proprement parler plaisante, en effet, traverser les quartiers périphériques n’était jamais sûr, mais la durée du trajet pouvait amener à la réflexion. Aujourd’hui, ce serait la journée décisive dans la carrière du jeune Octave, l’apothéose de ses labeurs….

Il était neuf heures lorsque entra chez Mécanages Airsteam, saluant d’autres employés au passage. Il arriva dans l’atelier principal, où les moteurs du tout dernier engin en chantier, le dirigeable à vapeur, étaient assemblés. Mécanages Airsteam était spécialisé dans la construction d’engins volants tous basé sur cette formidable énergie qu’était la vapeur, et le dirigeable serait une première mondiale. Octave était affecté dans la section qui s’occupait des innovations comme le dirigeable : assisté d’une dizaine d’autres mécanicien, il passait ses journées à tester de nouveaux systèmes de roues mécaniques et autres systèmes techniques pouvant servir à son employeur, et au reste du monde industriel si l’innovation était jugée suffisamment ingénieuse pour servir l’humanité et la nation. Posant son sac sur un établi, il en sorti un étui d’où il sortit quelques clés de toutes sortes, puis une farde en cuir contenant une dizaine de diagrammes et autres plans techniques, qu’il déposa à côté de son sac.

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Un autre mécanicien s’approcha de lui. Il se nommait Laurent Duprés, et tout comme Octave, il était mécanicien, spécialité circuits électrique. Accessoirement, il supervisait l’équipe dans laquelle travaillait Octave. Il jeta un œil aux dessins annotés puis s’adressa à Octave :

- Bien l’bonjour Octave. J’vois que t’as encore fait des heures supplémentaires sur tes plans…

- Que veux-tu Laurent, si ça permet de faire avancer nos travaux, il le faut bien…, répondit Octave

Les plans dont parlaient les deux ingénieurs représentaient un nouveau système de distribution de la vapeur dans les différentes parties qui composaient le dirigeable, un système mis au point par Octave lui-même, sur lequel reposait la réussite du projet. Cependant, le système n’était pas sans risque, avec les pressions énormes qui circuleraient dans les tuyaux et le risque d’explosion. Mais sans risques, le monde n’aurait jamais progressé jusqu’à l’ère de la vapeur d’aujourd’hui… Il accrocha ses outils à sa ceinture, et fit signe à Laurent de le suivre :

- Il est temps de tenter ce que nul n’a jamais tenté… murmura Octave en arrivant dans l’entrepôt d’assemblage.

L’équipe était déjà au complet, et les nouvelles pièces qu’Octave avait commandées étaient arrivées, entreposées près du mur du fond. Il s’en approcha et fit un rapide inventaire, pour voir si tout était bien là. Un des membres de l’équipe, un apprenti, s’approcha d’Octave :

- Mr Damus, qu’allons faire de tout cela ? Ce matériel n’est pas commun, du tout. Je n’avais encore jamais vu ce type de …

Il prit une sorte de panneau de contrôle, station de commandes bardée de boutons et autres leviers. Il le reposa rapidement, admiratif, avant de repartir dans le groupe, l’impatience et la curiosité peintes sur son visage.

Bien, dit Laurent, aujourd’hui, on va avoir du pain sur la planche. Octave ici présent travaille d’puis plusieurs mois sur l’système qui permettra au dirigeable de voler comme jamais. C’va pas être d’la tarte à faire, j’vous préviens, mais c’est notre boulot, alors allons-y !

Les différents ouvriers et mécaniciens acquiescèrent rapidement alors qu’Octave déroulait sur un panneau de présentation son œuvre. Le schéma était plus que complexe, mais pas irréalisable. Ils avaient le matériel, la motivation, ils ne pouvaient pas échouer. Octave expliqua brièvement les grands points de ce qu’il attendait d’eux, puis l’équipe se mit à la tâche. Toute la journée, ils travaillèrent d’arrache-pied, au rythme du bruit des soupapes à vapeurs, des coups de marteau, des fers de soudage, qui rythmèrent la naissance de leur création…

  • Un mois et demi plus tard…
Les soupapes 3 et 4 n’fonctionnent pas Octave, dit Laurent en soufflant comme un bœuf, s’essuyant le front en même temps.

Le projet avait bien avancé, mais plusieurs problèmes étaient apparus : des angles étaient trop abruptes, la vapeur s’y accumulait jusqu’à faire sauter les rivets, et les conduits par la même occasion. Et le temps qui leur était imparti diminuait de jour en jour.

La structure principale était terminée, de même que le pont. Le moteur n’avait pas porté problème, car les calculs et prévisions faits par les énergistes mécaniciens étaient plus que juste. Ils avaient alors abordés la partie la plus délicate de leur entreprise : le ballon. Sur le papier, cela était novateur mais réalisable mathématiquement : une coque en voile, à structure métallique. Cette même structure serait en fait l’assemblage des tuyaux, percés à intervalles réguliers de trous permettant la sortie de la vapeur qui permettrait au ballon de s’élever. C’était de la science, tout comme un ballon gonflé à l’hélium sur une foire s’envole si on le lâche.

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Mais concrètement, cela s’avérait beaucoup moins évident : outre le fait qu’il fallait plier les tuyaux à des degrés divers et improbables, la vapeur créée par les moteurs était très pressurisée et brûlante. Octave devrait réfléchir à cela, mais la journée de travail s’achevait et l’ambiance du travail s’estompa au fur et à mesure que les travailleurs s’en allaient, retournant chez eux ou allant flâner dans les quartiers populaires de la grande ville, dans les cafés ou autres établissements de détente. Octave rassembla ses affaires, les rangeant dans son sac, mit son béret et s’en retourna chez lui, cogitant sur le chemin à une façon de contourner le problème rencontré par son projet. Son projet… L’œuvre de sa carrière, qui l’inscrirait dans les annales de l’histoire aéronautique à vapeur. Fortune, gloire et fierté personnel. Réussir là où certains avaient échoués, tel était son but. S’il réussissait bien sûr, mais le doute n’était plus permis …

Il arriva chez lui alors que les lumières du crépuscule apparurent. De la campagne où il habitait, c’était un spectacle splendide. La ville se découpant au loin, les fumées des industries montant vers le ciel, à travers desquelles les rayons du soleil couchant miroitaient de milliers d’éclats brillants. Il soupira. Quelle spectacle saisissant, plus encore s’il était vu du ciel, pensa-t-il en poussant la clôture du jardin de sa maison. Une odeur délicate parvint à lui, montant du salon : Marie, sa femme, cuisinait. Il entra et alla derrière elle, puis l’enlaça par la taille, l’embrassant dans le cou en guise de bonjour.

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- Te voilà enfin… murmura-t-elle en se retournant, le visage souriant à la vue de son mari. Ce projet dévore ta vie, tu devrais penser à te reposer…

- Je le ferai, lorsque tout ça sera terminé. C’est pour bientôt, je te le promets… répondit-il

Octave posa ses lunettes et des plans sur la table du salon, étirant ses bras. Il observait le ciel pourpre par la fenêtre lorsque Marie le rejoignit, regardant à son tour.

- M’y emmèneras-tu ? lui souffla-t-elle à l’oreille. Là-haut, ajouta-t-elle devant l’air dubitatif d’Octave.

- Oui. Je te le promets… en se retournant et en l’embrassant tendrement, lui caressant le ventre qui était légèrement bombé…


  • Un mois plus tard…
Octave observa la barre devant lui. Couvertes de boutons, elle servait à diriger l’engin, de la proue à la poupe. Un incroyable agencement de leviers, de boutons à pressions et même de quelques circuits électriques novateurs. Tout était prêt, il avait trouvé une solution pour la tuyauterie du ballon et le reste avait suivi naturellement. Les principaux problèmes étaient derrière eux, désormais. Du moins, il l’espérait.
Il faut tester, ne fusse qu’un peu, pensa Octave en caressant le tableau de bord, tel un enfant caressant un jouet.

Écartez-vous, je vais démarrer l’engin ! hurla Octave par la lucarne vitrée entr’ouverte.

Les ouvriers s’éloignèrent de l’imposant dirigeable, curieux et anxieux à la fois. N’était-ce pas un peu précipité de le faire décoller maintenant ? Octave n’en avait cure, il devait voir si l’engin s’élevait, rien que d’une dizaine de mètres tout au plus. Il voulait voir si l’œuvre de sa jeune vie prendrait vie, comme il l’espérait tant. Il poussa le bouton d’allumage, et le moteur à vapeur rugît. Il vit, dans un miroir qu’il avait mis de telle manière qu’il pouvait voir à l’arrière de l’engin, la vapeur se répandre partout, tel un nuage à l’intérieur du hangar. Il entendit les cordes maintenant le dirigeable grincer alors que ce dernier s’ébranlait non sans mal.

Allez, juste quelques mètres, par pitié, murmura Octave en pianotant sur le tableau, appuyant sur certains boutons, levant ou abaissant des leviers. Finalement, il commença à s’élever. Il regarda les traits sur le mur à sa gauche, chaque trait représentant un mètre.

5,6.. 8 mètres ! lança-t-il, étonné. Huit mètres en une dizaine de secondes, c’était plus que ce qu’il espérait.

Son attention fut ramenée aux cordes, tendues à leur paroxysme. S’il continuait, elles lâcheraient, et le dirigeable irait se casser sur le toit du hangar. Mais cela n’arriva pas. Au contraire, il retomba avec violence après qu’un des moteurs arrière ait lâché, dans une énorme gerbe de feu. Le dirigeable retomba lourdement au sol, dans un craquement sinistre. La pesanteur rappela Octave, qui se tapa violemment le front contre le tableau de commande, perdant connaissance en glissant sur le parquet. Les ouvriers accoururent rapidement, plusieurs d’entre eux éteignant le feu des moteurs à grands coups de seaux d’eau tandis que Laurent et un autre homme sortait Octave de la cabine.

C’pas prudent c’qu’il a fait là, dit Laurent en mettant ses deux doigts contre le cou du blessé. Heureusement, son pouls battait toujours et il respirait normalement. Le choc l’avait juste fait sombrer dans les méandres de l’inconscience…


  • Quelques jours avant le vol inaugural …
Octave dormait, affalé dans un fauteuil, chez lui. Marie l’observait, accoudée à la table. Avec son bandage lui ceinturant le front, il avait presque un air burlesque. Elle esquissa un sourire avant de s’asseoir. Le bébé qu’elle portait, leur enfant, venait de remuer pour la première fois. Elle réprima l’envie de réveiller Octave pour qu’il vienne, car il avait besoin de repos. Depuis la veille, il ne faisait que vérifier et revérifier ses plans, ses calculs. Tout devait être parfait pour le grand jour, sa consécration. Mais il n’avait rien pu faire contre la fatigue.
Elle se releva, passa devant la fenêtre à travers de laquelle la nuit était tombée. Elle s’assit sur le rebord du fauteuil, à ses côtés, et se blottît contre lui, ramenant la couverture sur eux, une main sur son ventre où elle sentit une nouvelle secousse…

  • Le grand jour…
Octave, dans la cabine du dirigeable, observait les visiteurs qui se massaient à la grille de l’usine, venu voir le drôle d’engin, non sans une curiosité non dissimulée. De grands hommes étaient présent, des politiciens et des investisseurs pour la plupart, quelques journalistes et scientifiques venus pour rapporter ce qui devrait être « un grand pas en avant dans l’histoire de l’homme ». Il vit également Marie, dans une belle robe bleue, une ombrelle la protégeant du soleil. Leurs regards se croisèrent, les yeux de sa femme étaient emplis de fierté...

  • Quelques minutes avant l’envol…
Tout l’monde va s’positionner à son poste, et vite, hurla Laurent.

Les différents mécaniciens et énergistes s’en allèrent, certaines vers l’arrière et les moteurs, d’autres sous le pont, là où résidaient les réservoirs d’eau et autres. Octave, quant à lui, se trouvait aux commandes, assisté de deux autres pilotes. Maria et les invités de marques étaient assis sur de petits sièges sur le pont, où ils resteraient pendant l’ascension pour éviter tout accident.

Dieu me garde, murmura Octave avant d’ouvrir une valve de communication et de dire : Rapport !

D’autres voix lui parvinrent, lui signalant l’enclenchement des bobines des moteurs et autres, en gros que tout fonctionnait. Il poussa un lever, et le dirigeable s’ébranla pendant que les pilotes s’affairaient pour stabiliser les flux de vapeurs et les instruments de navigation. Une perle de sueur coula dans la nuque d’Octave : ils n’avaient plus le droit à l’erreur. Un accident ne serait pas admis, avec tous ces civils. Avec sa femme à bord, sa femme qui portait son enfant. Mais il avait foi en son projet. En ses équipes. En lui.

L’ascension se fit sans anicroches notables. Le sifflement de la vapeur fusant dans les tuyaux était assez dérangeant, mais ce n’était là qu’un détail. Octave regarda l’altimètre, qui indiquait 100 mètres. Son cœur fit un bond en lisant ces 3 chiffres : 1-0-0 mètres, ils volaient à 100 mètres au-dessus du sol ! Les pilotes continuèrent à stabiliser le navire, puis firent signe à Octave qu’il pouvait partir s’il le désirait, ce à quoi il acquiesçât avant de sortir sur le pont. Les invités pouvaient désormais marcher librement. L’étonnement et une pointe d’appréhension se lisaient sur leurs visages, mais tous étaient époustouflés par la prouesse technique qui était à l’œuvre : les riches investisseurs négociaient des contrats alors que les journalistes et scientifiques couchaient sur le papier chaque instant pour la postérité. Octave, lui, n’en avait cure. Ce qu’il regardait, c’était Marie qui lui souriait, accoudée au bastingage. Il vint près d’elle et celle-ci lui lança, avant qu’il puisse dire quoi que ce soit :

Es-tu heureux ? Il vole Octave, c’est magnifique ! Nous volons dans le ciel !

Oui, je le suis, mais pour une autre raison, répondit-il avant de l’embrasser. Il sentit comme un coup contre son ventre. Il sourît en sentant le fruit de leur amour se mouvoir dans Marie, baignant dans un monde onirique, hors des agressions du monde qui l’attendait.


Le dirigeable passa la falaise de la ville, et s’engagea au-dessus du vide. Les nuages s’enroulaient et se déroulaient autour d’eux, s’imbriquant tels des engrenages dans le ciel….

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